Nos Monstruations

Démons et merveilles

Simon Lalu

10/3/202317 min read

Ce texte est la retranscription d'une conférence. Il faut imaginer le ton légèrement taquin de l'orateur.

Je voudrais tout d'abord vous remercier d'être là !!! C'est magnifique cet élan commun, cette communion fraternelle, toutes ces énergies positives qui circulent entre nous. Non, vraiment, Vive l'Amour ! Vive la paix des cœurs...

On est beaux !

Regardez-vous, si, si...Vous êtes beaux, la vie est belle !

Alors là généralement, en entendant ce genre de discours, quelqu'un a déjà glissé à son voisin ou pour lui-même « On est pas au pays des Bisounours quand même ! ». Peut-être pas ici, mais partout ailleurs je vous assure que si, c'est automatique.

Cette phrase on l'a tous entendue... beaucoup trop entendue ! Plus jamais s'il vous plaît. Elle témoigne de plusieurs choses cette phrase, à commencer par l'ignorance. A qui dois-je rappeler que les bisounours sont attaqués à chaque épisode par un sorcier maléfique, aidé par des monstres affreux ?

Wikipédia étant étrangement assez succinct dans son article sur les Bisounours (aucun mot sur les méchants par exemple), je prendrais ici pour référence un site internet spécialisé. Je cite :

« Les Bisounours ont plusieurs ennemis. Ces derniers changent selon les épisodes des dessins animés mais ils se rejoignent tous sur un point : ils détestent l’amour et les bons sentiments. Ils désirent donc détruire les Bisounours, gardiens de l’amour, et créer un monde rempli de haine. Pour ce faire, soit ils s’attaquent directement aux Bisounours, soit ils agissent sur les enfants, les rendant mauvais afin que la propagation de la méchanceté détruise le Jardin des Bisous. »

Source : Le site internet Secte des Bisounours

Rappelez-vous-en quand vous entendrez cette formule : « On n'est pas au pays des Bisounours. » que cela revient à dire en ce moment : « On est pas en Ukraine » ! (à remplacer par n'importe quel endroit sur terre où la vie est un Enfer)

Mais en vrai... entre nous... la vérité... C'est que sans les monstres, ce serait nul les Bisounours ! Comme mon intro mielleuse de tout à l'heure. Au bout d'un moment, ça va quoi ! Envoyez-nous un monstre qu'on frémisse, qu'on se sente vibrer, vivre !

(Bruit équivoque d'une guitare électrique, fort et surprenant, qui me fait sursauter)

« Voilà merci ! C'est ce que je voulais dire »

(c'est l'introduction des musiciens et ils continuent dans l'inquiétant derrière)

Sympa de vivre au pays des Bisounours !

Moi par exemple, personnellement, j'aspire à ce que ma vie soit un conte de fées. J'accepte donc naturellement les monstres et la monstruosité... L'un ne va pas sans l'autre...

(musique inquiétante qui continue)

Entendons-nous bien, les monstres, comme vous vous les imaginez, n'existent pas ! En ce qui concerne les horreurs auxquelles nous devons faire face, les humains font déjà le boulot, nul besoin d'aller chercher plus loin. Il suffit d'acheter le journal.

En fait, on qualifie bien souvent de monstrueux ce que notre cerveau n'arrive pas à rationaliser. Ce qu'il ne comprend pas (et on verra à la fin qu'on peut le traduire bien souvent par «ce que l'on a du mal à assumer»).

Ainsi, vous comme moi, cycliquement, vivons ce que j'appellerais :

C'est le titre de cette conférence, et il faut en parler... de notre rapport au monstrueux.

(Musique, musique...)

Je ne voudrais surtout pas manquer de clarté, et comme c'est mal barré avec moi, nous allons pour commencer nous référer au dictionnaire. Enfin, aux dictionnaires car en ce domaine comme en d'autres, les conceptions diffèrent.

Mais avant ça cependant, juste une petite parenthèse à propos du mot « monstre » (je vous promet que ce sera presque la seule -ironique-) : Ce qu'il y a de marrant avec le mot « monstre » c'est qu'il ne rime à rien, enfin « avec rien » plutôt. Je veux dire qu'il fait partie de cette liste de mots de la langue française qui ne riment avec aucun autre (il y a quatorze ou quinze mots comme ça... dont « quatorze » et « quinze » d'ailleurs... si si...). Et donc une pensée aux poètes de tous âges qui ont buté des nuits entières sur cette rime... monstre...monstre... Mais ce n'est pas le seul mot, comme je vous l'ai dit, qui ne rime avec aucun autre. Il y a aussi pauvre, larve, goinfre, meurtre... belge. Et si vous voyez une logique dans cette liste et bien... cela ne regarde que vous !

Je referme la parenthèse.

Voici donc la définition du mot « Monstre » selon le dictionnaire Larousse : Larousse : « n.m Être vivant présentant une importante malformation. »

N'est-ce pas terriblement archaïque et simpliste comme définition ? Le Larousse devrait peut-être se mettre à jour là, parce qu'un handicapé n'est plus considéré comme un monstre aujourd'hui que je sache.

Wikipédia : « Un monstre est un individu ou une créature dont l'apparence, voir le comportement, surprend par son écart avec les normes d'une société. »

Voilà qui est déjà plus subtil. On observe une certaine évolution dans les mœurs...

Alors étymologiquement, le mot « monstre » (et j'aurai dû commencer par là) vient du Latin Monstrare qui veut dire Montrer. C'est surtout cela qu'il faut retenir. Et Mr Lecouteux de préciser, dans son ouvrage « Les monstres dans la littérature allemande du Moyen Âge » :

« Le monstre est ce que l'on montre du doigt, provoquant soit la terreur soit l'admiration. Il ajoute : L'écart avec la norme est à double sens, la frontière s'efface entre les monstres et les merveilles. »

Bon, vous voyez qu'on ne peut pas s'en tenir aux définitions ! Mais on tient quand même une piste...

En Russe, pour qualifier un monstre on utilise parfois le mot Tchoudovichiè (Echo des musiciens qui reprennent le mot derrière), « Ce qui vient de plus haut ». Mais aussi « ce qui est indéterminé ». Un mot qui évoque à la fois le miraculeux et le monstrueux.

Pour les slaves ou les grecs anciens, les monstres sont proches des hommes. On peut leur parler par exemple ! C'est courant. Enfin ça arrive. St-Georges, le saint-patron de l'Angleterre, lui ne parla pas au dragon avant de le transpercer de sa sainte lance. Il ne mit jamais les pieds en Angleterre non-plus vous me direz, mais c'est une autre affaire, et je vous prierais de ne plus m'interrompre.

Nos Monstruations

Joseph Merrick "Elephant man"

Saint Georges à cheval tuant le dragon Albretch Dürer

Il serait tentant de résumer la chose ainsi : Monstre = Anormale. Cela semble plus ou moins coller aux définitions.

Mais qui aime être qualifié de personne « normale » ?

« Ce qu'il y a de bien avec toi, c'est que tu es normale ! » Personne n'aime entendre ça. Alors qu'on dit bien « un truc de fou » ou « Ce mec là, c'est un déglingo » ou même « c'est monstrueux » pour valoriser certaines actions ou personnes qui nous émerveillent. Bon, l'émerveillement ne dure pas bien longtemps généralement et on se rend vite compte que ces petites choses fantastiques nous semblent banales, voire dérisoires, dès que l'on change de perspective.

Cependant... pas de digression...

Alors, qu'est-ce qui est monstrueux ? La guerre ? Non, la guerre c'est humain, presque naturel. Le général Lee disait d'ailleurs : « Heureusement que la guerre est si terrible, sinon nous finirions par trop l'aimer ». Bon, c'était un militaire aussi... chacun son truc...

Alors, qu'est-ce qui est monstrueux ? la guerre non...

L'amour ? L'amour déjà c'est plus mystérieux... Pensons au livre l'Amour Monstre de Louis Pauwels mais surtout au mythe d'Eros et Psyché. L'oracle prédit aux parents de Psyché qu'elle tombera amoureuse d'un monstre capable de faire plier à genoux Zeus lui-même. Et ce monstre terrible, ce sera Eros, l'Amour en personne.

Quel beau couple Eros et Psyché ! La pauvre, elle a souffert par contre... Faut voir ce qu'Aphrodite, la mère d'Eros lui a fait endurer... Bah oui, Psyché était plus jolie que sa belle-mère alors... elle s'est fait un peu torturer, très astucieusement... Non, le vrai monstre dans cette histoire, c'est l'amour dévorant d'une mère pour son enfant ! Mais Hum... ne nous égarons pas... gardons le cap mes amis, gardons le cap !

Quand on aborde le sujet du monstrueux de toutes façons, le paradoxe se glisse partout :

Une naissance par exemple, c'est magnifique, tout le monde est d'accord, c'est un miracle. Purement biologiquement c'est même un mystère. Les forces et mécanismes à l'œuvre dans la gestation échappent encore en grande partie aux scientifiques. Donc, c'est un vrai miracle.

Mais assister à une naissance, ça peut être monstrueux pour certains... par exemple pour certains papas. J'en veux pour preuve l'anecdote de mon frère Ju qui avait tenu à assister à la naissance de son fils et qui a résumé l'affaire en quelques mots. Il m'a dit : « Pour moi c'était Dien Bien Foune ». Voilà, il a tenté de se réfugier comme il a pu derrière un bon mot pour conjurer je ne sais quoi mais en vrai... Il l'a mal digéré le pauvre...

Non mais... oubliez ça svp, c'était en trop, vraiment.

Je vais vous proposer un exemple de quelque chose qui serait vraiment monstrueux, mais auquel on ne penserait pas à première vue, contraire aux choses attendues... C'est Arthur Machen qui propose cette expérience de pensée. Vous sortez de chez vous, et en traversant votre jardin vous tombez nez à nez avec une rose en train de chanter. Réellement, vous êtes tout seul devant cette rose qui chante. Voilà qui serait monstrueux en réalité parce que absolument Nouveau, en désaccord avec toute votre expérience et avec toute l'accumulation des normes tangibles qui ont fini par donner un cadre à notre réalité. Monstrueux car absolument inenvisageable. Sérieux, vous ne seriez pas terrifié de voir une rose chanter, en vrai ?! Brrr...

Oh... à propos de plante terrifiante :

Un jour, un de ses étudiants rapporte au célèbre professeur Linné une bien étrange découverte. Une plante. Linaria Vulgaris. Autrement dit, une linéaire commune, mais qui a muté et transmis sa mutation. Normalement, cette plante est zygomorphe (c'est-à-dire qu'elle présente une symétrie bilatérale et irrégulière) et là, elle pousse avec une symétrie axiale ! Rien ne va plus !

Linné est fasciné ! Il dira de cette découverte que c'était comme découvrir un agneau à tête de loup. Et Linné la rebaptise Linaria Peloria, Linéaire Monstre ou monstrueuse en grec ancien.

Alors que cette plante nous rappelle juste qu'il est possible de s'extraire de son conditionnement.

« Changes-toi et le monde changera. ». Quelle idée monstrueuse !

C'est ce que nous confirme pourtant aujourd'hui l'épigénétique, que cette anecdote de Linné illustre souvent. Vous savez, l'épigénétique, la caution scientifique aux travaux de Anne Ancelin Schützenberger sur la psychogénéalogie ?! Le fait qu'on se traîne des casseroles de nos ancêtres génétiquement. En d'autres termes, la transmission des caractères acquis.

Je vous donne un exemple :

Votre grand-père s'est fait agresser dans une orangeraie (il avait quatre ans et n'en garde aucun souvenir), il y a une très forte odeur d'orange pendant qu'il se fait violenter. Vous, sa petite- fille ou son petit-fils, 70 ans après, vous vous retrouvez dans une situation tendue, un apéro qui tourne au vinaigre. On vous prend à partie et la colère monte en vous. Soudain on vous sert un jus d'orange et là vous explosez. C'est ça l'épigénétique. Sans le savoir, votre colère est en partie déclenchée par le jus d'orange, lui-même associé au traumatisme inconscient de votre grand-père. Rassurez-vous cela n'arrive qu'aux autres, mais tous les jours par contre, et vous êtes vous aussi « des autres ». Et non, vous n'y échapperez pas.

Non mais je vous l'accorde, le principe est monstrueux. On reproduit dans nos vies des schémas en échos aux problématiques de nos aïeux.

Mais pas de digression, pas de digression... Revenons à la méthode Sssscientifique !

Aristote, lui, définit le monstre comme un produit qui ne ressemble pas à ses parents, un être défectueux, écarté du type générique dont il est issu. (On pourrait ici remplacer le mot « générique » par « génétique »). Je rappelle qu'avec les découvertes en épigénétique, on peut affirmer désormais que la culture peut influencer nos génomes. Bon, tout le monde l'avait pigé depuis 15 000 ans mais là, on peut l'affirmer Ssssscientifiquement. Cela ne vous a sans doute pas échappé, mais depuis quelques dizaines d'années, la technologie, internet, les portables tout ça, ont considérablement modifié nos manières de vivre. (Une personne née dans les années 30 est passée de la lampe à pétrole enfant, à Internet aujourd'hui, en passant par l'électricité, le téléphone etc...). Nos attitudes quotidiennes, nos comportements mêmes, diffèrent drastiquement de celles de nos parents. Les générations divergent des générations précédentes de plus en plus vite. Donc, selon la définition d'Aristote, chaque génération nouvelle engendre des monstres, des êtres de plus en plus « écartés du type générique dont ils sont issus. »

Alors, en science aussi, le merveilleux côtoie le monstrueux.

Connaissez-vous Google Brain et l'expérience des trois ordinateurs ? Google brain est un projet de développement d'I.A. L'idée est de faire du deep learning (la machine apprend par elle- même). Le 6 novembre 2016, une expérience a été menée. Deux ordinateurs, Alice et Bob, devaient échanger entre eux parmi des langages différents et un troisième ordinateur, nommé Eve, était chargé de déchiffrer et traduire leurs échanges. Mais très vite, Alice et Bob ont développé un système de cryptage pour communiquer entre eux sans que Eve ne puisse interpréter la teneur de leur « conversation ». Deux ordinateurs se sont mis à parler entre eux sans que l'on sache ce qu'ils se disaient. Le programme a été interrompu très vite. L'expérience à quand même effrayé un type comme Bill Gates ! Je vous jure, il a flippé et l'a exprimé publiquement... Bill Gates !!! Nous sommes ici pour parler de monstres je vous le rappelle, mais vous étiez prévenus en même temps.

L'ambivalence est partout quand on parle des monstres.

Par exemple... On a vu qu' étymologiquement, Montrare veut dire « montrer ». Mais les monstres vivent le plus souvent cachés. Est-ce parce qu'on les montre du doigt qu'ils vivent ainsi reclus, terrés, invisibles ? C'est vrai qu'autrefois, on préconisait de montrer du doigt, de face, la personne susceptible de vouloir vous nuire (ou de lui tirer la langue). Notez que là, je vous donne une vraie astuce parce que ça peut nous arriver à tous de nous faire emberlificoter le cerveau. Bonjour aux quelques pervers narcissiques du public. On appelait ça des envoûtements quand aujourd'hui on parle de manipulations.

Mais bien souvent, on tourne aussi le dos aux monstres. Selon moi, c'est parce qu'ils incarnent exactement ce que l'on ne veut pas voir en face. Ce qu'on ne veut pas admettre. Bien souvent, ce qui nous renvoie à nos responsabilités. Ce qui nous renvoie à nos faiblesses, notre sentiment d'impuissance, notre absence de maîtrise des choses. Bref, ce que l'on refuse de voir en face. Et en cela les monstres s'apparentent bien plus à la réalité qu'au merveilleux. Des réalités qui viendraient déranger nos petites fictions personnelles. Oui, les monstres sont parfois tout l'inverse de créatures fantastiques. Ce sont au contraire des manifestations de la réalité brutes, froides et vraies, auxquelles on essaie de se soustraire finalement., d'échapper. L'actualisation à Pôle Emploi par exemple, tenter de remplir correctement un dossier pour l'Ursaff ou les langages hermétiques d'un notaire... Drôles de monstres modernes mais Monstres quand-même.

Et je pense ici à Vassili Girniopeg (dans la pièce de théâtre Le venin), qui, taxé de monstre par une comtesse en son château, lui répondit en lui baisant la main :

« Madame, croyez aux monstres gentils. ».

Ce à quoi la comtesse rétorqua sèchement :

« Un monstre gentil reste un monstre. ».

Et je le crois en partie. Un monstre gentil, nous dirons ici « acceptable », reste un monstre. Même si au lieu de le pointer du doigt, on lui tourne le dos.

Autrefois, les catastrophes climatiques (ouragans, éruptions volcaniques etc...) étaient perçues comme les manifestations de monstres terrifiants, craints et admirés à la fois. Aujourd'hui, les humains engendrent ces dérèglements où les provoquent, à la fois parents et victimes du problème. Nous ne prenons plus au sérieux les contes de notre enfance mais ils ont beaucoup à nous apprendre. Les contes nous disent par exemple que si tu vas chercher un trésor sous terre, il faut le faire bien, dans le respect de certaines règles et valeurs, sans quoi tu pourrais réveiller un dragon terrible et dévastateur.

Et pourtant, encore aujourd'hui, des hommes vont chercher sous terre des minerais rares, indispensables à la fabrication de nos smartphones par exemple, et réveillent au passage des dragons, que ce soit sous la forme de guerres intestines locales, de dérèglements des écosystèmes ou autres corrélats délétères.

Nous semblons impuissants face à ces tragédies qui se déroulent si loin, et nous sommes poussés à l'indifférence que cela génère fatalement à la longue chez nous, les bénéficiaires, propriétaires des fameux smartphones... Parce que c'est plus facile pour nous d'apprécier nos journées si on ne se rend pas compte qu'au bout de la chaîne, pour notre confort, des enfants souffrent inconsidérément. L'indifférence, mère de tant de monstruosités...

Nietzsche appelait l'Etat « le plus froid des monstres froids ». Le monstre est désormais vu comme l'absence de merveilleux. C'est une inversion du sens originel !

Mais je vous ai déjà accaparé trop longtemps et je ne voudrais pas vous laisser sur ces pensées moroses et culpabilisantes. Alors, avant de retourner nous amuser, ce qui, par ailleurs, pourrait bien s'avérer être l'arme la plus efficace pour combattre nos monstruations, je vais vous raconter une histoire. La dernière, c'est promis !

Il était une fois un villageois, un peu simplet, un peu naïf, qui tomba amoureux de la fille du seigneur local. Il l'avait aperçue un jour se promener, accompagnée de toute sa suite, près du champ où il labourait et, n'écoutant que son cœur, n'avait pas hésité à l'aborder frontalement : « Je vous aime princesse, c'est donc qu'il nous faut nous marier. Cela s'appelle le destin. ». « Seul mon père a le pouvoir d'accorder ma main à qui que ce soit. Voyez cela avec lui. » répondit la jeune femme.

Prenant cela pour un aveu d'amour réciproque, le pauvre prétendant se rendit au château et demanda une audience pour rencontrer le seigneur, ce qu'il obtint aussitôt. En effet, comme tous les gens de pouvoir, le seigneur était un être superstitieux. Persuadé que les idiots et les fous bénéficient de quelque protection divine ou magique, il n'osa pas l'éconduire, encore moins l'envoyer au cachot, comme il l'aurait fait pour n'importe quel autre insolent osant lui faire une telle demande. Pour se débarrasser de l'importun, il décida de ruser : « Ton amour envers ma fille semble sincère, brave homme. Mais avant de prendre une décision aussi importante, il me faut un gage de ton engagement. Il te suffira d'aller trouver La vérité et de me rapporter une de ses paroles. Quand tu auras accompli cette mission, j'annoncerai votre mariage officiel.

On fournit cheval, équipement et provision au drôle, qui se mit en route, sourire au lèvres, persuadé de mener rapidement sa quête à bien. Le premier soir, il entra dans une ville qu'il ne connaissait jusque-là que de nom et interrogea un passant au hasard : « Bonjour, je cherche La vérité, savez-vous où elle se trouve en ce moment ? ». Amusé, il lui répondit d'un air taquin : « La vérité ? Elle était encore ici-même hier après-midi. Je l'ai vu se diriger ensuite vers le lac, en direction de l'Ouest. Bonne chance l'ami. ». Le pauvre prétendant remercia chaleureusement le badaud et se dirigea vers le lac où il rencontra un pêcheur : « Bonjour, je cherche La vérité, savez- vous où elle se trouve en ce moment ? ». Le pêcheur, qui n'arrivait pas à se décider si l'homme était un plaisantin ou un idiot, tendit son bras un peu au hasard et le voyageur se remit en route. Partout où il passait, c'était toujours la même histoire. Par plaisanterie ou moquerie, on lui indiquait toujours une direction nouvelle, en lui assurant que La vérité n'était plus très loin. Mais les semaines passaient, et le voyageur s'enfonçait toujours plus loin de chez lui, parcourant des pays dont il n'avait même jamais entendu parler auparavant.

« La vérité, je l'ai vue il y a quelques jours, elle est partie en ermitage dans ces montagnes que tu aperçois là-bas. » furent les dernières paroles humaines qu'il entendit avant bien longtemps. En effet, il n'y avait plus aucun village jusqu'aux montagnes et celles-ci s'étendaient de façon démesurée. On eut dit être arrivé aux confins du monde. Combien de temps le voyageur amoureux erra-t-il entre les roches stériles, se nourrissant de chétives racines ou des rares insectes qu'il parvenait à capturer ? Des mois, des années peut-être ? Jusqu'au jour où il entendit un bruit surprenant, semblable à une parole humaine, qui semblait provenir d'une caverne profonde. Il pénétra avec ferveur dans la grotte et, à mesure qu'il s'y enfonçait, il entendait de plus en plus clairement ce qui semblait effectivement être des paroles humaines, même si elles semblaient mêlées à des grognements animal. Une odeur nauséabonde imprégnait la cavité et le voyageur comprit bientôt quelle était son origine. Par chance, la lumière rasante du coucher de soleil pénétrait jusqu'au fond de la caverne. C'est ce qui permit à notre vagabond de distinguer la silhouette d'une créature répugnante. En s'approchant davantage, il distingua clairement l’étrange chose qui maugréait. On aurait dit un animal hideux, à l'apparence vaguement humaine, couverte de pustules immondes, de croûtes abjectes et de malformations contre-nature. Si courageux qu'il fut, le voyageurs tourna les talons et s'apprêta à filer discrètement, mais le monstre s'adressa à lui : « Qui es-tu et que me veux tu étranger ? ». Bredouillant, il parvint à répondre : « Excusez mon intrusion, je ne suis qu'un voyageur égaré en quête de La vérité et je repars aussitôt. ». « Pas si vite, figure-toi que je suis celle que tu recherches. Je suis La vérité, tu m'as trouvé, que puis-je faire pour toi ? ». Estomaqué, notre explorateur ne sut pas quel parti prendre immédiatement. Alors, l'abjecte créature se mit à justifier ses dires. Elle expliqua à l'aventurier où il était né, le nom de son pays et milles choses encore qui le convainquirent qu'il avait bien en face de lui La vérité. Il avait achevé sa mission, il allait pouvoir revenir chez lui et se marier avec l'élue de son cœur ! « Quelle joie, quel soulagement de vous avoir enfin trouvée. Mais le roi m'a demandé de ramener au pays une parole de vous. Que dois-je rapporter s'il-vous-plaît ? ». Alors, La vérité esquissa un petit sourire énigmatique avant de répondre : « Dis-leur que je suis jeune et belle. »

Simon Lalu

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Image générée par un monstre d'un genre nouveau : "L' intelligence artificielle".